Projet de loi Peillon, Plan Chatel, Rapport Fourgous, Plan ENR : au-delà des clivages politiques, les plans en faveur du numérique se succèdent et mobilisent peu à peu de plus en plus de collectivités. Mais malgré la multiplication des projets TICE et expérimentations diverses à travers le territoire, la généralisation des usages, on le sait, reste timide. Pire, d’après une enquête réalisée par notre équipe du cabinet AMO-TICE, un grand nombre de communes aujourd’hui ajournent leur projet d’école numérique à des dates ultérieures.
Pourquoi ? Vivons-nous donc une dichotomie entre les impulsions successives créées par les ministères, et certaines communes, qui reportent d’année en année l’intégration du numérique dans leurs écoles ?
Tentons d’en comprendre les causes pour se risquer, dans un second volet, de souffler aux collectivités, qui n’en seraient pas convaincues, les raisons pour lesquelles elles ne pourront rater le coche du numérique dès 2013.
Le numérique à l’école, ajourné dans les conseils municipaux ?
Certes l’annonce du projet de loi Peillon, qui institutionnalise le numérique comme un volet pédagogique essentiel, est encore très récent, mais nous avons malgré tout, enquêté auprès de communes, afin d’en comprendre les répercussions sur les nouveaux projets municipaux. Tant pour les communes, pour lesquelles le numérique restait marginal, il y a encore un an et que pour celles, déjà lancées dans un projet TICE.
Ces dernières confortées dans leurs choix par le projet de loi poursuivent leurs projets.
Mais pour celles, qui n’avaient encore rien initié. À la question : « Intégrerez-vous en 2013 un projet d’équipement numérique dans vos écoles ? », les propos recueillis restent en grande majorité presque inchangés, à ceux enregistrés l’an dernier, à la même époque. «Ce n’est pas notre priorité pour le moment…. Nous équiperons nos écoles en numérique sûrement d’ici un ou deux ans», quand les projets ne sont pas remis à des dates ultérieures. Réponses que nous enregistrions de ces mêmes communes déjà l’an dernier.
« Trop de communes sont encore installées dans une ère de procrastination, en remettant à plus tard des projets pourtant essentiels au développement et au dynamisme de leur territoire » confirme et regrette Pascale Luciani Boyer, en charge des questions éducation et numérique, à l’Association des Maires de France.
À ce constat, des raisons diverses tant structurelles que circonstancielles.
La première raison évoquée par les élus et les services des villes lors de notre enquête est liée aux restrictions budgétaires et aux problèmes de financement, sur lesquelles nous reviendrons dans notre prochain article.
Mais Anna Angeli, Maire adjointe du Pré Saint-Gervais (93) et consultante des projets éducation auprès deVilles internet, précise que « les problématiques financières ne sont pas la raison unique et réelle. Un manque de connaissances encore important des enjeux de l’éducation au numérique pour les élèves du 1er degré persiste au sein des communes. Les élus et les services concernés ont besoin d’expertise, et de formation pour construire leur politique numérique éducative ».
C’est ce que nous confirme Thierry Coilhac, Directeur Stratégie Éducation chez Orange, auditeur du rapport du Conseil National du Numérique de mars 2012, relatif au choix du numérique à l’École. « Nous constatons régulièrement une méconnaissance des usages et des besoins des enseignants de leurs écoles, ce qui impacte sur les problématiques budgétaires, car méconnaître les usages, c’est faire l’impasse sur les équipements et infrastructures précis dont auront besoin les enseignants localement. Ce qui, par voie de conséquence, entraîne trop souvent des choix et des budgets inadaptés, exposés à des dépenses inutiles ».
« Sans compter un manque d’accompagnement de la part de l’éducation nationale pour faire évoluer ces collectivités et les aider » ajoute Anna Angeli.
Autre motif, là, plus « ancré dans les mentalités des élus est, poursuit-elle, de considérer que l’apprentissage du numérique, et les usages pédagogiques correspondants, peuvent attendre le collège et ne constituent pas une priorité en primaire ».
«D’autant qu’ils ont ce qu’il faut à la maison ! » nous a-t-on, même avancé, lors de notre enquête.
C’est ignorer les réelles inégalités entre les enfants, moins en matière d’accès à Internet, qu’en matière d’éducation et de recul face à ce média, où l’école joue dès le plus jeune âge un rôle primordial : l’un des leitmotivs de la mis en place du B2i et de l’inscription du principe d’éducation numérique dans le projet de loi Peillon.
Et Anna Angeli de confirmer « le fossé numérique se creuse entre les villes qui équipent leurs écoles et celles qui ne le font pas, générateur d’inégalités inacceptables au sein de notre système éducatif républicain.
Les nouvelles générations se retrouvent, comme si l’Internet était inné et génétique, sans repères culturels pour profiter des opportunités formidables d’accès aux droits, à la connaissance, à la citoyenneté et de fait à l’emploi induit par ces technologies de l’information et de la communication.
Un système éducatif rénové, précise Anna Angeli, doit garantir l’accès aux savoirs et à la culture numérique et ne pas laisser une grande partie de la jeunesse s’adjoindre la fracture numérique, aux fractures sociales et culturelles déjà existantes.
Dans un contexte de budgets contraints, le besoin d’un État garant de l’équité des moyens et coordonnant les différents niveaux de collectivités est plus que criant ».
À ces problématiques, vient s’ajouter la réorganisation des temps scolaires et périscolaires, qui d’après les entretiens que nous avons menés, absorbe actuellement les emplois du temps des élus et des services, et de ce fait gèle souvent les nouveaux projets d’écoles numériques.
Le numérique, l’outil de choix pour des Plans éducatifs territoriaux efficaces et efficients.
« Toutes ces raisons sont bien compréhensibles car la gestion comptable, administrative et politique d’une commune est d’une grande complexité. Mais en cette période de crise nous devons, reconsidérer nos repères et nos valeurs, pour donner à nos enseignants, les moyens d’une plus grande efficacité, en matière de réussite éducative, grâce à des outils efficients. Or, le numérique est justement à terme source d’efficacité augmentée, et d’économie pour les frais de fonctionnement de nos écoles» avance Pascale Luciani Boyer.
Source à termes d’efficience, mais aussi, prix en baisse des matériels et des infrastructures, technologies qui se hissent au plus haut niveau, pour entre autres, permettre une pédagogie différenciée, et soutenir pour le moins les enfants en difficulté, sont quelques-unes des réponses, qu’apporte le numérique aux problématiques, que rencontrent les collectivités, tant sur les plans de gestions administratives, de gouvernances territoriales éducatives, de continuité pédagogique, ou d’économie budgétaire.
Autant d’éléments que nous développerons la semaine prochaine dans le second volet de ce dossier.
Avis aux lecteurs de cette rubrique :
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